Le style de Charles Burns: la réalité contaminée

Publié le par Svecs

Dès ses premiers récits, Burns s'accapare les clichés des comic-books pour mieux les détourner. Il met en scène de savants fous, des jeunes dégourdis, des détectives dans la plus pure tradition hard-boiled, le tout saupoudré d'un érotisme discret à usage des adolescents et de l'horreur baroque typique d'EC Comics. Mais son sens de l'étrange et son goût de la bizarrerie concourent a créer une ambiance déroutante. Chez Burns, la normalité est impitoyablement battue en brèche par l'absurdité. Les repères disparaissent. Des concepts aussi distincts que le bien et le mal ou l'innocence et la perversion tendent à se confondre. Ainsi, les histoires de Burns sont-elles souvent des commentaires acerbes sur la société contemporaine.

 

  

 

 

Son style graphique allie rigueur et froideur. Le dessin de Burns se caractérise par un noir & blanc très contrasté, tranchant avec l'ambiguïté permanente de ses récits qui flirtent avec les recoins les plus sombres de l'imaginaire. Le dessin en lui-même reste classique. Burns revendique un goût marqué pour le classicisme en bande dessinée. Ainsi, les pages de garde de Big Baby ou Skin Deep reprennent-elles le principe des galeries de portraits des albums de Tintin.

 Narrativement, Burns se base systématiquement sur des canevas classiques. Mais il y insuffle une sérieuse dose de bizarrerie, rendant les éléments les plus familiers étrangement inquiétants. Il use et abuse de recettes éprouvées. Ainsi, les enquêtes de "El Borbah" se déroulent de la même manière que celles de Mike Hammer. Mais l'absurdité de certaines situations ou certains personnages apportent une dimension inattendue à des ressorts narratifs usés.

 De même, sa mise en page reste très sage. Pas d'angle bizarre, pas de mise en page alambiquée. C'est au sein de la case que Burns laisse s'exprimer la folie de son univers. L'un ou l'autre élément incongru suffit a suggérer l'anormalité ambiante. Cette page de Dog Boy est par exemple de construction très classique, a l'image des "love comics" des années 50. Pourtant, il y est question d'un homme-chien qui ne peut s'empêcher de renifler le derrière des dames. Nous sommes bien loin des romance a l'eau de rose des love-comics !

 D'une certaine manière, le style de Burns peut être comparé à une maladie contaminant la réalité, la déformant jusqu'à la rendre monstrueuse.

 Pour "Black Hole", dont le thème est plus réaliste, Burns a choisi un style qui tend vers le "normalisme". Le grotesque n'y a plus sa place. Les malformations causés par la Peste Ado sont représentées avec beaucoup de retenue. Il ne s’agit plus de signes visibles de la folie du monde, mais de stigmates du mal- être des personages, avec lesquels ils doivent apprendre a vivre. Ainsi, la queue d'Eliza fait partie intégrante de sa personne. Elle fait partie de sa “normalité”. De même, la manière dont Burns aborde l'érotisme change radicalement. Loin de la parodie des premiers récits, il traite désormais le sexe de manière très naturelle. Il ne s’agit plus d’un argument de vente (fut-il parodié), mais d’un élément indissociable de l'histoire.

 

 

 

 

 

 

 

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